L’histoire nous rapporte que Dumarsais Estimé tout comme René Depestre, Emile Saint Lot et bien d’autres était talonné de temps à autre par le meneur des masses, Daniel Fignolé (1).
Par James St GERMAIN
Le Nouvelliste
03 août 2021 | Lecture : 5 min.
L’histoire nous rapporte que Dumarsais Estimé tout comme René Depestre, Emile Saint Lot et bien d’autres était talonné de temps à autre par le meneur des masses, Daniel Fignolé (1). Cette page d’histoire qui nous a échappé indiquera à quel point une simple divergence de position sur une question a créé une situation pour laquelle le pays a tendance à payer très cher ses conséquences.
À côté du poète René Depestre et François Duvalier, Daniel Fignolé (1915-1986) et Dumarsais Estimé (1900 – 1953) représentent deux des plus grandes figures emblématiques qui ont incarné le noirisme inauguré en 1946 en parallèle à la politique “mulâtriste” imposée par le président Élie Lescot (1941-1946), cause pour laquelle il a été renversé du pouvoir. Ces deux hommes se sont imposés sur l’échiquier politique grâce à la vision anti-mulatriste dont ils ont témoigné durant le mouvement contestataire enclenché par les étudiants de Damien. Quoique de même origine sociale, de même vision et issus d’une même tendance politique, ils ne se sont pas montrés coopératifs l’un envers l’autre ni ne se sont rapprochés politiquement durant leur évolution pour le bonheur du pays. Une telle entente que l’on n’a pas pu voir entre les deux leaders suscite débat et fait trotter dans l’esprit de certains passionnés de l’histoire des questionnements, pas des moindres. La question qui revient sur la table des discussions: pourquoi Daniel Fignolé a talonné le fils de Verrettes lorsque ce dernier accéda au pouvoir ?
Sur la base d’un tel questionnement, j’estime intéressant de chercher à localiser les éléments qui pouvaient s’ériger comme obstacles à une entente entre les deux leaders. En vertu de cela, je jette mon regard sur le parcours des deux.
Aussi bien que je porte mon regard sur les faits historiques de l’époque, voici ce que je découvre comme éléments d’information: Dumarsais Estimé n’était jamais le premier choix de Daniel Fignolé. Lors des élections du 16 août 1946 à la Chambre ayant opposé Démosthènes Calixte, un noiriste convaincu, Dantès Louis Bellegarde et Edgard Numa à Dumarsais Estimé, Daniel a fait campagne pour le premier (2). Il paraît que le soutien que Dumarsais Estimé a apporté à Élie Lescot pour le faire élire président quand le président Sténio Vincent le présenta à la Chambre comme son poulain était mal vu par Daniel.
Dans l’intervalle, Daniel, vu comme un gauchiste et un syndicaliste, dirigea son journal Chantiers, cofondé en 1942 avec pour orientation politique libéral noiriste. Ce fut à travers cet instrument qu’il a fustigé l’élite mulâtre du pays pour son égoïsme. L’on comprend bien que le vote de Dumarsais Estimé en 1941 à Élie Lescot qui représentait les intérêts de la bourgeoisie des mulâtres n’était pas à pardonner. Dumarsais Estimé a dû le payer en partie.
En plus, j’ai noté que le 25 octobre 1946 Daniel Fignolé a dû se retirer du cabinet ministériel d’union nationale du président Estimé qu’il a rejoint à cause de la présence de Georges Rigaud (disciple de Jacques Roumain) issu de la classe bourgeoise. Il a quitté son poste de ministre de l’Éducation pour avoir refusé d’atténuer ses attaques contre les bourgeois. Encore une fois, il a fait parler de son radicalisme noiriste. Aussi a-t-il déclaré: « Si quelqu’un pense pouvoir arrêter ce que je fais pour mon peuple, je serai obligé d’utiliser mon woulo pour le détruire ! » (3).
Cela traduirait alors que Daniel Fignolé était l’incarnation parfaite du noirisme, et Dumarsais Estimé n’était pas allé dans sa position de noirisme qu’il a vendue dans son discours de campagne présidentielle, à tel point qu’il scandait le slogan « Un homme noir au pouvoir » pour essayer de se démarquer de la domination des mulâtres, lesquels s’accaparent toute la richesse du pays au lendemain de l’assassinat de l’empereur Jacques 1er. Face à cela, on s’attendait à ce qu’il mette sur pied une élite noire pouvant rivaliser la classe bourgeoise traditionnelle, chose qu’il n’a pas faite et c’était la raison pour laquelle Daniel l’a sévèrement critiqué.
La démission de Daniel Fignolé de son poste a eu comme conséquence sa séparation définitive avec le président Dumarsais Estimé. Leur divergence de vision a contrarié leur cohabitation dans le cadre d’un sauvetage national. Dieu seul sait quel grand progrès le pays aurait connu si ces deux hommes s’étaient mis ensemble pour construire une alternative.
Par rapport à cette divergence de position, Daniel a fait opposition à Dumarsais Estimé en dépit de son esprit d’homme progressiste. C’est le pays qui a payé très cher leur division. Bien avant toute chose, le pouvoir était la source de leur division. Les deux ont utilisé le discours noiriste comme tremplin pour y accéder, même si Daniel a été beaucoup plus conscientisé sur les problèmes de couleur que son rival.
L’histoire a peut-être donné raison à Daniel Fignolé en dépit de son radicalisme sur Dumarsais Estimé, étant donné que les données historiques indiquent que l’élite bourgeoise mulâtre est tout aussi radicale dans sa position. Elle est prête à tuer ses adversaires et à déstabiliser le pays pour maintenir ses intérêts de classe. Ce type de comportement est un radicalisme au même titre de celui affiché par quelques éléments de la classe intellectuelle et politique qui s’en prennent toujours à la bourgeoisie.
Cette page d’histoire que nous revisitons doit apprendre l’un à tolérer l’autre dans sa vision si l’on veut offrir une alternative au pays. Daniel Fignolé était allé trop loin dans sa haine contre l’élite mulâtre pour n’avoir pas accepté de cohabiter avec Georges Rigaud qui partageait un discours socialiste au même titre que lui. En plus, il paraissait trop radical sur ses positions pour ne pas accepter de collaborer avec Estimé qui a visé le progrès du pays.
Toujours est-il, à défaut d’entente entre Daniel Fignolé et François Duvalier, et entre ce dernier et Clément Jumelle, le pays a fait l’expérience d’une sombre page d’histoire; de nombreux cerveaux ont dû quitter le pays pour se réfugier ailleurs. On nous parle d’une longue liste d’assassinats et de disparus.
La question de couleur est certes un problème fondamental au sein de la société, mais elle ne doit pas être utilisée comme une tournure victimaire à des fins politiques. Dans de tels cas, c’est la société qui en fait les frais, surtout si le discours est démagogique et instrumentalisé.
Je choisis ce chapitre d’histoire afin d’indiquer à quel point le radicalisme de part et d’autre a toujours plongé le pays dans le chaos.
—————————
Notes de référence
1. La Révolution de 1946, Leslie François Manigat, publié le 2008-12-02 | lenouvelliste.com
2. L’héritage indigéniste : La maternité (II), Gérard Alexis, publié le 2017-03-21 | lenouvelliste.com.
——————————-
Par James St GERMAIN
Le Nouvelliste
03 août 2021