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Je me souviens de Marion Léandre comme un grand travailleur

Je me souviens de Marion Léandre comme un grand travailleur

Je me souviens de Marion Léandre comme un grand travailleur
Impossible, depuis 1974, de ne pas convoquer les souvenirs de « notre » Coupe du Monde quand arrive une nouvelle édition.

Par Patrice Dumont
28 novembre 2022
Le Nouvelliste

Impossible, depuis 1974, de ne pas convoquer les souvenirs de « notre » Coupe du Monde quand arrive une nouvelle édition. Même si le football haïtien était splendide aujourd’hui, la marque laissée dans les esprits et dans les cœurs par les mondialistes haïtiens de 1974 resterait encore indélébile. Huit sont morts, dix vivent à l’étranger, quatre résident à Port-au-Prince : Serge Ducoste, Guy Saint-Vil, Philippe Vorbe, Marion Léandre. J’ai une dette de reconnaissance envers eux tous. Pourquoi est-ce à ce dernier que j’ai le plus pensé à l’approche de cette Coupe du Monde ? Par le travail, Marion a surmonté des difficultés qui éteignent les âmes ordinaires. Qui dit travail dit mérite. Ainsi, je suis parmi une dizaine de personnalités du football qui avaient très sérieusement projeté de lui offrir à Port-au-Prince un festin jubilaire ce 12 novembre écoulé. Moment de fraternité et de solidarité interdits par les gangs. C’est mû par une désespérante idée de compensation à ce raté, ô combien involontaire, que je tente de dresser ce portrait de Marion Léandre.

Né au Cap-Haïtien le 9 mai 1945 au Cap-Haïtien, l’enfant et adolescent Marion fut loin des scintillements des grands footballeurs capois, les Claude Nemorin, Joseph Obas, Rommel Pierrot, Claude Barthélemy,Wilfrid Gervais « Tcho » et consorts . Donc, quand le 9 mai 1967, le dirigeant du Racing André Josaphat, d’accord avec Auguste Robinson et Michel Jean-Joseph de l’ASC, vint le chercher, lui et Théodore Jean-Baptiste « ti Théo », les fans du football capois voyaient partir un sympathique garçon, néanmoins simple rugueux défenseur. À Port-au-Prince, Marion devint capitaine du Racing. À la fin de sa carrière, le 9 mai 1978, dans un stade Sylvio Cator en tenue de gala, son club lui organisera un jubilé de toute beauté, avec le Violette en invité de marque. Comme le Vieux Tigre le fera pour Philippe Vorbe neuf jours après, avec le Racing comme invité de marque.

MARION LEANDRE
MARION LEANDRE

Rien, pourtant, ne fut facile pour le bonhomme. Succéder à André Auguste, le premier des frères Pelaw, précurseur en Haïti des arrières latéraux techniques, rapides et offensifs était une gageure. En Sélection, René Argélus « Gwo René » de l’Aigle Noir, beaucoup moins brillant que son homologue André Auguste, avait succédé à celui-ci. Aîné largement trentenaire, avec Claudel Legros, de l’équipe qui allait faire sensation à San Salvador (0-3) le 28 septembre 1969, Gwo René » occupait fermement ce poste. Or la Sélection Nationale emplit les rêves de Marion, de nuit comme de jour. Il avoue « avoir dû prendre son mal en patience avant d’être appelé en Sélection ». En plus de Gwo René, indéboulonnable au poste d’arrière droit, Wilfrid Louis du Don Bosco, petit par la taille et la corpulence, grand par la discipline, la précocité et le talent, lui barrait la route. Il a déjà 26 ans quand Tassy ne l’emmena pas aux Jeux Panaméricains de Cali, juillet 1971.

L’appel au Graal arrive le 13 novembre 1971 à Port-au-Prince contre Nautico Recife du Brésil, 1-1, penalty de Philippe Vorbe. Il enchaîna par une titularisation aux Éliminatoires Concacaf des Jeux Olympiques de Munich à Trinidad, une place qualificative sur six équipes. Alors que Haïti bouclera la compétition par une excellente 2e place, derrière le Mexique, agrémentée des performances de Sanon et Bayonne, chacun 3 buts, et Vorbe élu MVP du tournoi, la poisse, Marion Léandre doit abandonner ses partenaires à cause d’une fracture de la mâchoire lors du second match contre le Honduras (3-1, Bayonne, Sanon, Tom Pouce).

Une fois guéri, sans être titulaire, mis en lumière dans une pimpante formation du Racing qui survolera la Coupe Pradel de 1972, il est rappelé en Sélection. D’ailleurs, le 14 décembre 1972 à Port-au-Prince, en match amical, il marquera un des trois buts contre Curaçao, les deux autres ayant été l’œuvre de Manno Sanon. Ce ne fut qu’une éclaircie dans une montée des marches laborieuse. Beaucoup de sueur et de sang. Nager à contre-courant pour une place au soleil. En effet, des circonstances diverses poussent Tassy à convertir Pierre Bayonne en latéral droit. Concurrencer ce monstre, c’est défier un éléphant sur le terrain de la force. Et quand les indisponibilités cumulées de Vorbe au milieu du terrain et Jean-Joseph en défense semblent lui ouvrir une place de titulaire au crucial premier match du Pré Mondial, 1e décembre 1973 contre Curaçao, une blessure à l’aine handicape notre bon Marion. Néanmoins, « il y a un dieu pour les malheureux ». Aux yeux de Tassy, Bayonne étant indispensable au milieu du terrain en l’absence de Vorbe, ou en attaque à côté de Sanon, le poste de latéral droit était disponible pour la finesse technique de Wilfrid Louis du Don Bosco ou la présence athlétique de Marion Léandre du Racing. Les soins à la cortisone de Docteur Rosarion ayant mis Marion en état de jouer, Tassy le titularisa pour les trois matchs contre Guatemala, Honduras et Mexique.

Pour y arriver, il s’était fait juge de lui-même : travail en solo son amitié avec le ballon. Son dribble est approximatif : il évite de porter le ballon, privilégie toujours la passe, à moins qu’il puisse utiliser le grand pont au fond du terrain pour centrer. Sa vitesse de course égale rarement celle de ses adversaires : il ne laisse pas d’espace dans son dos, il anticipe, adopte le recul-frein. Surtout, sa condition physique doit être impeccable. Maniaque, il lui arrive en pleine nuit de se réveiller en sursaut et travailler abdominaux, pectoraux et squats. Ses adversaires les plus redoutés ? Au début de sa carrière à Port-au-Prince, Manassé de l’Excelsior. Après 1974, Gary Perrin du Victory et Jean Joseph Mathelier du Violette. Le vrai adversaire qui aurait pu faire passer Marion Léandre pour un charlot, il est Uruguayen et il s’appelle Ruben Corbo. Le 6 juin 1973, Haïti reçoit l’Uruguay au stade Sylvio Cator. Deux heures avant le match, l’entraîneur Tassy, pas psychologue pour un sou, effraie l’arrière latéral droit du Racing en ces termes : « Mario, ou toujou ap di se gwo aryè ou ye, fè m wè sa : aswè a ou pral make yon elye goch ki drible le monde entier… ! » Le défenseur perdit ses sens sur le coup. Durant toute la première mi-temps, Corbo martyrisa Marion au point que le même Tassy – préparez votre éclat de rires – lui cria du banc de touche : « Marion, si w renmen Blan an, bo l non ! » Et si la mi-temps, du reste tout le match, se termina 0-0, c’est grâce à un Wilner Nazaire exceptionnel qui colmata toutes les brèches de la défense haïtienne. Dans ce registre, Marion cite volontiers l’ailier gauche américain Mark Liveric du Cosmos qu’il a affronté en été 1975 dans les rangs du Victory qui l’avait appelé en renfort à l’occasion de son Tournoi International 30e Anniversaire réunissant, en plus du Victory lui-même, New-York Cosmos, Miami Toros et Violette.

Pour qui sait analyser, cet épisode de la carrière de Marion Léandre prend le sens d’un accomplissement absolu. Bien sûr, si le Violette n’était pas invité à la compétition, on peut parier que Franck Civil aurait sollicité les services de Pierre Bayonne pour pallier la faiblesse du flanc droit de sa défense. Qu’importe, dans un tournoi de si haut niveau, trouver grâce aux exigences techniques légendaires de l’entraîneur Franck Civil, c’est obtenir un diplôme universitaire summa cum laude. Franck a dû aussi mettre sur la balance la discipline du joueur, son expérience et sa rectitude. En 16 ans de carrière, en étant défenseur rugueux, pas un seul carton rouge. Ce profil apparierait bien au métier d’entraîneur. Mario le devint par une formation au Mexique et divers stages de la Fifa ou du Comité Olympique, jusqu’à avoir été diplômé de la Fifa comme Formateur de Formateurs en entraînement de football. S’il a eu plusieurs piges comme adjoint de Piontek et Tassy en Sélection et entraîné le Racing, le Don Bosco, All Cap, Carioca, c’est son Bacardi de 1979-1981qui demeure son master class. Il était alors un showman hors pair, gagnant ses matchs avec panache et retenant ses joueurs pour un retour au calme actif dès le coup de sifflet final, appliquant ainsi à la lettre l’une de ses nombreuses formules : « Au coup de sifflet final du précédent match commence le prochain ».

Ayant fait tout cela et trouver les dispositions mentales et émotionnelles pour savoir aimer Rose-Mary Henry, se marier avec elle, le tout Port-au-Prince pour témoin et voir dans les yeux de trois enfants, Mario, Moïse, Myriam, réfléchir l’image d’une famille unie, c’est faire honneur à ses métiers de joueur et entraîneur de football et se proposer comme incarnation du travail qui paie.

Par Patrice Dumont
28 novembre 2022
Le Nouvelliste

 

 

 

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